VII - EVOLUTION D'AVENIR

On peut déduire des expériences récentes que le graisseur de boudins est désormais l'instrument de base de la lubrification des voies. Le dispositif présenté ici constitue en quelque sorte un palier dans l'évolution de la technique.

Je suis très déçu que la technique n'aie pratiquement pas évolué depuis 2000 environ, on sent une absence de motivation manifeste des exploitants ferroviaires. Quand aux fabricants, constatant le manque d'intérêt de leurs clients actuels ou potentiels, on comprend qu'ils n'aient pas voulu engager de frais de R&D avec aussi peu de chances de les récupérer.

Les propos qui suivent restent donc hélas beaucoup plus théoriques que réels. Si toutefois des exploitants ou fabricants avaient le bon goût de faire mentir ce propos, j'en serais très content.



Le but, dans la recherche d'une meilleure efficacité, serait de distribuer l'huile exactement au moment et à l'endroit où on en a besoin, c'est à dire en fait de revenir sur les facilités auxquelles le graisseur de boudins nous a habitués.

Le dispositif idéal comporterait donc une alimentation individualisée par éjecteur, l'approvisionnant uniquement lorsque sa roue en a besoin (en courbe), c'est à dire comme le graisseur de rail actuel. Cette solution ayant des inconvénients bien connus, on ne peut s'en rapprocher que progressivement lorsque l'état de la technique permet d'éliminer ces inconvénients.

Pour obtenir ce résultat,il faudrait connaître le besoin exact de lubrification d'un convoi donné dans une courbe donnée.

L'influence de la courbe est déjà un peu connue : on sait que son agressivité est proportionnelle à sa longueur et inversement proportionnelle à son rayon. Toutefois l'influence du profil de rail n'est pas prise en compte. On sait bien qu'un rail neuf est beaucoup plus agressif qu'un rail chanfreiné, mais on ne dispose pas de données chiffrées.

En ce qui concerne l'influence des essieux, on en sait encore moins. Les études précédentes font état d'un "coefficient d'efficacité" (nombre d'essieux lubrifiés par le passage d'un graisseur), sans précision de la nature de ces essieux.

Or on sait par expérience que le comportement des roues vis à vis de l'usure latérale est très différent suivant les caractéristiques de la suspension. On le constate à l'usure des boudins en cas d'insuffisance du graissage : un essieu de voiture Corail supporte très bien ce défaut alors qu'un essieu de TGV s'use très vite dans ce cas.

Il faudrait connaître l'agressivité relative de chaque type de suspension et affecter les essieux correspondants d'un "coefficient d'agressivité". On pourrait alors calculer l'agressivité globale d'un convoi, et partant, son besoin en lubrifiant.



Les recherches ont porté sur plusieurs voies :


1° La commande

Une première étape a été réalisée par la mise en service de la commande à intervalle de temps à double cadence.

La solution réellement efficace consisterait à disposer d'un détecteur de courbe fiable, donc non basé sur la rotation des bogies par rapport à la caisse.

On a envisagé dans les années 90 une commande par balise, de principe analogue au KVB, mais réalisée de manière beaucoup plus économique grâce à un dispositif dérivé du lecteur de cartes à puces utilisé pour le péage des autoroutes sans arrêt des véhicules.

Toutefois, la solution la plus prometteuse provient de l'utilisation du GPS (Géopositionnement par satellite) qui grâce à un fichier des positions géographiques des entrées et sorties de courbes ainsi que leur rayon, permet de déterminer dans quelle condition de courbure de voie le train se trouve. Cette solution est parfaitement envisageable dans l'état de la technologie du GPS qui est maintenant un accessoire grand public d'un prix dérisoire. Seule resterait à finaliser la cartographie du réseau ferré et la mise au point du logiciel de pilotage du graisseur. On a attendu vainement l'autorisation de lancer les études et l'essai à la SNCF en début 2002.

En 2014, ce serait presque de la routine.

2° L'éjecteur

L'utilisation d'une commande du graissage au moment où on en a réellement besoin nécessite un éjecteur qui travaille à des débits très variables et peut atteindre des cadences de graissage élevées, Dans ces conditions, le système actuel atteint vite ses limites, et on sera amené à utiliser un dispositif où le mélange air-huile se fait au dernier moment, à proximité de la roue. Le graisseur à tuyau unique avec mélange air-graisse au départ du réservoir est encore moins apte à ce genre de fonctionnement.

Le système actuel distributeur + éjecteurs présente une caractéristique gênante, il ne peux fonctionner qu'avec une tuyauterie d'huile très rigide car une quantité d'huile de quelques dizaines de mm3 injectée au départ du distributeur doit se retrouver intacte et immédiatement quelques mètres plus loin à l'arrivée à l'éjecteur. Aucun « gonflement » de la tuyauterie n'est admissible, et la moindre fuite met en panne le graisseur.

Un « éjecteur-distributeur » à dosage d'huile et mélange air-huile reste à mettre au point. Il faut tenir compte du fait que même à cadence élevée, l'éjection doit durer « un certain temps » afin d'étaler l'huile sur le pourtour de la roue. Une durée de 1/10 à ¼ de seconde me semblerait a priori raisonnable.

On pourrait être tenté par une pulvérisation « airless » comme celle des pistolets à peinture, qui permettrait de se passer d'air comprimé. Cela fonctionne très bien pour pulvériser de l'huile « de machine à coudre ». Toutefois cette solution, qui avait été envisagée pour un graisseur de tramways par la société Fersystem avait été abandonnée étant donné le dimensionnement de l'équipement électrique nécessaire à obtenir une bonne pulvérisation d'une huile très épaisse.


3° Le lubrifiant

L'efficacité du graisseur de boudins est améliorée par les qualités propres au lubrifiant spécial, qui permet :

- sur la roue, de mieux résister à la centrifugation

- sur le rail de mieux résister à la pression et de maintenir le plus longtemps possible un régime de lubrification viscohydrodynamique. Au dela, il faut tenter de maintenir le plus possible un régime de frottement onctueux avant le grippage.

La recherche sur les lubrifiants devra comprendre l'étude de la corrélation entre les performances mesurées en laboratoire et celles constatées sur le terrain, afin de viser une amélioration de l'efficacité pour une même quantité de lubrifiant. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu'une bonne efficacité est atteinte actuellement avec un lubrifiant dont le coût est inférieur à 1,5€ par kg, et que dans ces conditions, l'utilisation de lubrifiants évolués (et donc chers) est difficile à justifier économiquement. Il semble de plus que pour obtenir un graissage satisfaisant, un volume minimal de lubrifiant soit nécessaire pour combler les irrégularités de surface de la roue et du rail, quelles que soient les qualités lubrifiantes du produit. Ceci impose donc une limite inférieure à la quantité de lubrifiant consommée et rend illusoire la recherche d'un lubrifiant cher mais utilisé en très petites quantités.

Par ailleurs, ce lubrifiant étant déversé dans la nature, on a mis au point des lubrifiants biodégradables afin de répondre à une législation qui nous sera probablement imposée dans un avenir proche (mais toujours pas promulguée en 2014 alors qu'on l'attendait dans les années 90).





L'ARCHITECTURE DU GRAISSEUR D'AVENIR



1°) La commande

Le graisseur de boudins est commandé par un dispositif piloté par GPS.

Ce dispositif, informatique évidemment, est indépendant de l'informatique générale de bord, ce qui permet d'intervenir sur cette fonction et modifier ses paramètres sans devoir valider le logiciel complet.

Le paramétrage comprend une cadence de base, qui peut être programmée pour le type de service (un train de fret avec de nombreux wagons pourra par exemple avoir cette cadence plus élevée qu'un train de voyageurs léger). La fréquence de graissage est proportionnelle à la vitesse de l'engin (déterminée par le GPS) et inversement proportionnelle au rayon de la courbe (connue par la cartographie).

2°) Le dispositif d'application du lubrifiant

Pour des raisons pratiques d'approvisionnement on a intérêt à garder un réservoir d'huile par bogie.

Le transfert de l'huile aux éjecteurs peut se faire en permanence sous pression modérée, de l'ordre de 5 bars, en alimentant les 4 « éjecteurs » à la fois donc en principe avec un réservoir mis sous pression. Le gonflement de la tuyauterie n'a plus aucune importance et le débit étant très réduit, les spécifications pour la tuyauterie sont réduites au maximum, on peut utiliser du flexible pour réduire les frais d'installation.

Les éjecteurs étant commandés individuellement, il faut une électrovalve par éjecteur. Comme il est plus facile de faire un raccordement caisse bogie pour un fil électrique que pour un tuyau d'air comprimé, il est logique de disposer les 4 électrovalves sur le bogie. C'est là qu'une variante est possible : on peut disposer les 4 électrovalves ensemble au niveau de l'arrivée d'air comprimé, celui-ci étant envoyé par une tuyauterie séparée à chaque éjecteur, ou on peut disposer chaque électrovalve à proximité immédiate de son éjecteur, l'air comprimé alimentant en parallèle les 4 électrovalves.

Les éjecteurs devront comprendre une pompe volumétrique à air comprimé, rôle actuel du distributeur, et la partie des éjecteurs actuels avec une tuyère destinée à mélanger l'air comprimé et le lubrifiant et le projeter sur le boudin. Attention, cela ne doit pas fonctionner comme une pompe à injection de moteur thermique où il faut pulvériser le mélange dans un temps extrémement court, il faut cette fois prévoir un élément élastique ou chambre de compression pour « étaler » la pulvérisation sur une fraction de seconde, a priori 1/10 à ¼. Ce dispositif n'a jamais été essayé et il y a donc une mise au point à faire.

Ce type d'éjecteur n'existe pas à ma connaissance. Il est nécessairement plus gros donc plus difficile à loger que les éjecteurs Lubrovia actuels et à plus forte raison que les tuyères des graisseurs à un seul tuyau. Ils seront aussi forcément plus chers.

Si un fabricant dispose dans ses cartons d'un projet pour un tel matériel, je serais intéressé d'en être avisé et l'en remercie d'avance.



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